Marie Mbala Biloa : la voix camerounaise des invisibles

Article : Marie Mbala Biloa : la voix camerounaise des invisibles
Crédit: M M B
29 août 2022

Marie Mbala Biloa : la voix camerounaise des invisibles

À 24 ans, Marie Mbala Biloa avait déjà 4 enfants. Son premier, elle l’avait eu à l’âge de 18 ans. Écartée des études par son père qui les jugeait inutiles pour une femme, elle va se lancer dans le petit commerce pour se frayer un chemin et nourrir ses 4 bouches.

Née le 20 décembre 1954 à Obala, dans une famille de battants, la jeune Marie fait également le choix comme ses sœurs et son frère d’être une revendeuse. C’est par l’agriculture,dans son village, que Marie Mbala pose ses bases.À cette époque là, les marchés populaires, on en comptait très peu. Le plus connu était le marché SHO, dit encore marché Ongola dans la ville de Yaoundé. Et c’est donc là, qu’elle déchargeait ses récoltes. Elle y retrouvait sa sœur Martine, une revendeuse de vivres-frais.

« Le 117 ou le bataillon d’intervention rapide »: Ce qu’est une Bayam-Selam.

Sont dites « Bayam-Selam », des femmes qui achètent des vivres fraîches dans les zones reculées (brousse, grand marché de déchargement), pour ensuite les revendre dans les marchés locaux de la ville. Debouts à la première lueur du jour, elles n’ont qu’un seul objectif : trouver la meilleure marchandise. Certaines vont directement en brousse la chercher, d’autres par contre, attendent sur place. Elles y sont par vague. Les plus grandes Bayam-selam arrivent à 2h, les moins, à 4h. Pendant que beaucoup sont entrain de dormir, il y a des gens qui cherchent de l’argent toute la nuit dans les marchés d’approvisionnement. Le plus célèbre aujourd’hui à Yaoundé, est le marché du 8ème. Là bas, on trouve un peu de tout : tomates, carottes, ognons, pommes, choux, prunes, bananes, plantains entre plusieurs autres vivres frais. Des produits très périssables.
Réussir à les avoir, la tâche ardue. Une posture de guerrière, un vestimentaire approprié. « La profession est ouverte à tout le monde, n’importe qui peut-être Bayam-Selam, surtout qu’on n’a pas besoin de rédiger des tonnes de lettres pour être recruter dans le métier », souligne avec humour Marie Mbala Biloa, lorsque je lui demande qui peut être Bayam-Selam.
Alors derrière les camions de bananes- plantains, vous les verrez à pas de course. Dans la boue, sous le froid et plus tard sous le soleil, le kabba nageant sur le corps, elles ont enfilé dessus un pantalon. Elles y associent de longues chaussettes qui parfois montent jusqu’aux genoux. Attention à la mauvaise chaussure ! Il faut surtout des souliers très confortables. Pour compléter ce vestimentaire typique, certaines Bayam-Selam arborent sur la tête, un chapeau tissé en paille.

Les Bayam-Selam sont des femmes qui ne se lavent pas !

Se remémore la présidente de l’association des Bayam-Selam dans une chanson où le nom de l’auteur l’échappe.

Hélas, ce style vestimentaire leur a malheureusement créé une fâcheuse réputation de femmes « sales », qui « ne se lavent pas », qui « ne peuvent pas se marier », qui « s’adressent mal aux clients ». Marie Mbala Biloa Biloa regrette cette image que la société avait collé à celles qui sont aujourd’hui qualifiées de « mamelles nourricières » du pays.
Assise sur son canapé, dans son salon et moi, juste à côté d’elle, elle se remémore tristement les risques que présentent ce métier. Comme par exemple des risques de viols ou encore des soupçons d’infidélité. Mbala Biloa, n’a rien subi de pareil. Mais elle sait que ce sont des situations qui ne manquent pas, bien que ces femmes n’osent pas libérer la parole.
Pour briser les barrières, faire taire les préjugés et redorer l’image de la femme Bayam-Selam, elle va fonder en 2004, l’ASBY, l’association-camerounaise des Bayam-Selam. Une association qui voyage aujourd’hui sur le continent africain et qui parcourt déjà le monde.

Marie Mbala Biloa : la porte-parole des sans-voix

De taille, elle est grande. La voix, elle l’a héritée grave, comme celle d’un homme. Elle est toujours remarquable. Devant les chaînes de télévision, à la radio, personne ne peut l’ignorer. Grâce à son caractère imposant, elle réussit toujours à attirer les regards au passage. Et si aujourd’hui, elle est la candidate parfaite pour une émission de débat sur un secteur essentiel, c’est parce qu’elle se dit : « La porte-parole des sans-voix. madame la journaliste, quand vous me voyez dans les chaines de télévision comme dernièrement on était à l’extérieur, on est entrain de former une plateforme de femmes leaders. Quand les femmes d’affaires comptent les milliards, moi je compte les millions de personnes vulnérables qui n’arrivent pas à manger. J’étais Bayam-Selam, aujourd’hui Dieu m’a appelé pour que je les accompagne. Je ne me définis pas comme une femme d’affaire, parce que je suis dans le social. ASBY est à but non lucratif et tout ce que nous faisons c’est pour le petit peuple », poursuit-elle « C’est dire, madame la journaliste, il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens », conclut celle qui mène une bataille pour les laissées pour compte.

C’est pour cela que l’un des plus grands projets de l’association à l’heure actuelle, est la construction d’un marché écologique et moderne, financée par la banque africaine de developpement, « ASBY market ». La lutte contre l’insalubrité, la création des emplois pour les jeunes reste une priorité de l’association, au-delà de promouvoir l’autonomisation de la femme Bayam-Selam.

ASBY, une association un jour, une association pour toujours

Reconnue d’utilité publique en 2016, 12 ans après sa création, ASBY n’a fait que gravir les échelons. Au début, créée sous le label de l’association des Bayam-Selam de Yaoundé, l’assainissement des marchés par Tsimi-Evouna, l’ancien délégué du gouvernement auprès de la communauté urbaine de Yaoundé, Marie Mbala Biloa, et ses collaborateurs vont passer à l’étape supérieure : nationaliser l’association, puisque l’opération du délégué traduisait l’assainissement des mœurs des Bayam-Selam. C’est à travers un congrès extraordinaire des Bayam-Selam de Yaoundé et des environs que la nouvelle ASBY voit le jour, Association des Bayam-Selam du Cameroun. Elle a pour but : le renforcement des capacités des Bayam-Selam, les formations sur la gestion des financements et l’accueil des clients entre autres. Sur cette approche, elles sont soutenues par ONU Femmes. Et ce n’est pas tout. L’association contribue également à la promotion de la sécurité sanitaire. Aujourd’hui l’ASBY est représentée à l’international. Et son logo dit tout : deux femmes sur le globe monde.

La vie chère : le malheur de l’ASBY

Depuis le covid, l’association en a pris un grand coup. Les fermetures précoces du marché, et maintenant la guerre en Ukraine qui a provoqué la hausse des prix des produits de première nécessité. Face à tout cela, l’ASBY a souhaité se labelliser, booster sa production et transformer sur place les produits locaux. Elle propose la transformation du manioc, de la patate en farine par exemple, afin de pallier la dépendance du blé.

Avec près de 3 millions de membres à travers le Cameroun et plusieurs antennes à travers le monde, l’association a besoin de la logistique. L’ASBY a besoin des camions pour transporter sa propre marchandise retenue dans les zones ravitaillement. Ce qui lui permettra d’être moins acculée par la vie.

Mais en attendant tout soutien extérieur, l’association des Bayam-Selam du Cameroun et de la diaspora vous convie du 13 au 23 décembre à la 9 ème édition du Forum national d’échange entre les Bayam-Selam et acteurs du secteur informel, le febasi qui vise à lutter contre la vie chère en période de Noël et du nouvel an.

De Bayam-Selam à la tête de l’ASBY : M M B est bien dans son couloir

Pour tenir dans ce métier, il fallait qu’elle soit passionnée, qu’elle ait la volonté. Lorsqu’on recherche un emploi, on rédige toujours une lettre. Dans le domaine du Bayam, aucune lettre n’est admise. À qui l’adresser puisque c’est un secteur très informel ? Il faut donc avoir la volonté, l’engagement et la détermination pour se lancer. « Chez le Bayam-Selam, il n’y a pas le « j’ai l’honneur » (ndlr : « j’ai l’honneur » sont souvent les premiers mots d’une lettre de candidature), il faut être forte. Et si tu ne l’es pas, on t’étouffe », explique Marie Mbala Biloa, qui a résisté face aux défis.
Grâce à son métier, elle a voyagé. Elle a pu rencontrer des grandes personnalités : la première dame du Cameroun et son époux, Christine Lagarde… À la jeunesse, son message est clair : « Laissez la facilité, évitez le porte-monnaie magique. Sur les réseaux sociaux, prenez le bon et laissez le mauvais, c’est le travail qui paie ».
La crainte, elle n’en a jamais eu, même avec un fusil sur la tête! dit – elle. Parce qu’elle le sait. Elle défend une noble cause. Celle des Bayam-Selam, devenues « la marque déposée du président de la République du Cameroun, le congélateur national du petit peuple. »

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Commentaires

Françoise Ramel
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Merci pour ce beau portrait d’une femme engagée et de l’impact important du travail collectif.

Michelle YMELE
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Merci beaucoup ma très chère Françoise !

Enama menda Joseph
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C'est très important votre travail

Michelle YMELE
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Je suis ravie qu'il capte votre attention.

Fouda Fabrice
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Article très enrichissant...

Michelle YMELE
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Merci mon ami Fabrice !